30 avr. 2008

Impérial empereur


Les pétrels des neiges, les skuas et les manchots Adélie sont partis
depuis plusieurs semaines vers le Nord, fuyant l'hiver rigoureux, le
blizzard, les tempêtes et la banquise. Ils reviendront l'été prochain
sur l’archipel de Pointe Géologie pour s'y reproduire. Une seule
espèce animale ose affronter les basses températures et les vents
violents de l'hiver austral : l'impérial manchot empereur (en plus de
quelques rares hominidés bien emmitouflés, ou bien au chaud derrière
une fenêtre dès que le vent souffle un peu trop fort).

Les manchots (famille des Sphéniscidés) sont des cousins des Pétrels
et des Albatros, bien qu'ils ne volent pas. Sur les 17 espèces de
manchots (qui vivent toutes dans l'hémisphère Sud), seules 2 se
reproduisent sur les côtes Antarctiques (hors péninsule) : le
manchot Adélie (l'été) et le manchot empereur (l'hiver).
Parlons des manchots empereurs justement… La population totale était
estimée à 220 000 couples dans les années 90, répartis dans une
cinquantaine de colonies. À Dumont d'Urville, on recense actuellement
près de 3000 couples.

Quelques données sur les empereurs :
Ces grands oiseaux (ils mesurent un mètre) se reproduisent tous les
ans en pondant un unique oeuf au mois de mai, après une période de
pariade et d'accouplement durant le mois d'avril. C'est le mâle qui
assure la totalité de l'incubation de l'oeuf (65 jours) pendant que
la femelle part en mer se nourrir jusqu'au mois de juillet. Le
poussin est thermiquement indépendant de ses parents à partir du mois
d'août. Il est nourri par ses deux parents jusqu'au mois de décembre,
date à laquelle il partira en mer pour ne revenir sur la colonie que
quelques années plus tard (les empereurs sont mâtures à l'âge de 5
ans, et les premiers retours sur la colonie se font dès l'âge de 4
ans). Les empereurs peuvent vivre jusqu’à une trentaine d’années.
Ils plongent pour pêcher du krill et des petits céphalopodes jusqu’à
50 mètres de profondeur en moyenne, pendant 15 à 20 minutes (record
enregistré à plus de 500 mètres).

Les mâles et les femelles ont un chant différent (le chant de la
femelle est plus saccadé), ils sont aussi distinguables au début de
la saison de reproduction par leur poids, les mâles pesant 40 à
45kg alors que les femelles n'en font que 30 en moyenne.

Ces oiseaux de l'extrême sont parfaitement adaptés au milieu dans
lequel ils vivent. Leur plumage en "double couche", avec une coque
externe pour l’isolation mécanique et du duvet pour l'isolation
thermique, leur permet de minimiser leur consommation d'énergie : ils
ont un métabolisme minimal à une température de -10°C (25°C pour un
homme nu). Le comportement de « thermorégulation sociale » mieux
connu sous le nom de "tortue" (les manchots se serrent les uns aux
autres) est également source d’économies d’énergie quand les
températures sont basses et les vents forts. Une tortue dure en
moyenne 1h30 à 2 heures, elle se disloque alors que les températures
en son cœur peuvent atteindre 37°C.

La colonie de manchots empereurs de Dumont d'Urville fait partie
d'une Aire Spécialement Protégée de l’Antarctique (ASPA n°120).
L'accès à la colonie et l'approche des manchots sont restreints à des
travaux scientifiques soumis à autorisation. Mais les empereurs sont
curieux, il est fréquent de voir des petits groupes s'approcher à
quelques mètres de nous, nous invitant à les voir d'un peu plus près.
Qui a dit que la curiosité était un vilain défaut ?

17 avr. 2008

NEWS


Il était une fois un pays tout blanc, isolé du reste du monde, à
plusieurs jours de bateau des plus proches voisins australiens, un
pays froid et venté, où les autochtones s'habillent en redingote et
se transforment en tortue quand il fait vraiment froid, où le soleil
devient timide pendant l'hiver et se cache derrière des glaçons
gigantesques.

C'est pour venir en Antarctique que j'ai postulé auprès de l'Institut
Polaire, pour être 'Volontaire Civil à l'Aide Technique' (en
raccourci antarctique ça fait vat - en prononçant le t) pour le
compte du département d'Ecologie, Physiologie & Ethologie de
Strasbourg. Ils ont bien voulu de moi, je suis partie sac sur le dos
pour ce 'bout du monde'. C'était fin octobre. Après un long voyage en
avion, en bus, en bateau et en hélico, je suis arrivée avec un carton
de tomates dans les bras (les premières tomates que mangeraient les
hivernants de la mission précédente après plusieurs mois d'hiver) à
'DDU' (Dumont d'Urville) en Terre Adélie, où j'allais/je vais passer
quelques mois.

Pour en revenir à ce que j'écrivais au début de ce mail, après
quelques mois passés ici, voilà ce que je peux en dire...
L'Antarctique, ce n'est pas tout blanc. J'ai vu des icebergs bleus ou
chocolat, de la neige aux couleurs de sable doré, des ciels roses,
oranges, rouges. Ce n'est pas silencieux non plus : le vent qui
souffle, les manchots qui chantent ou encore la glace qui craque sont
les sons du quotidien (et encore je ne parle pas des fenêtres qui
sifflent pendant les tempêtes ou du ronronnement tranquille de la
centrale électrique). Nos plus proches voisins sont en fait à 1000 et
quelques kilomètres d'ici, ils sont treize français & d'italiens à
vivre dans les deux boites de conserve géantes installées sur
plusieurs milliers de mètres de glace au Dôme Concordia, où en ce
moment il fait -60°, et on communique avec eux par radio une fois par
semaine. La nuit est de plus en plus longue (Il y avait autant de
nuit que de jour le 21 mars, il n'y aura plus que 7 heures de jour à
la fin du mois), quand le ciel n'est pas couvert et que l'activité
solaire est importante, on peut voire de fantastiques aurores
australes. Il fait froid mais pas tant que ça si l'on s'habille
suffisamment.
...

Ce n'est pas facile de résumer en quelques lignes plusieurs mois
passés ici...

Il y a d'abord eu la campagne d'été, avec beaucoup de monde sur la
base (entre 50 et 100 personnes), 14002 couples de manchots Adélie
sur l'île des Pétrels où est construite la base et leurs 14094
poussins, 5 allers-retours de l'Astrolabe (le bateau affrété par
l'Institut Polaire) entre DDU et Hobart en Tasmanie, des suivis de
manchots Adélie 24 heures sur 24 dans le cadre de nos manip - je
m'occupais du suivi la nuit, jusqu'à 3 ou 5 heures du matin selon les
périodes, des balades sur la banquise, le jour permanent, les
passages de consignes diverses et variées avec nos prédécesseurs, les
réveillons de Noël & du nouvel an sous la neige, le partage d'un
minuscule bureau à 4 parce qu'il y avait jusqu'à 15 personnes à
'Biomar' (pour un labo qui accueille entre 2 et 4 hivernants
l'hiver), les discussions au séjour avec les anciens hivernants
jusque tard - entre deux suivis de manchots, les anciens hivernants
qui partent et la relève qui arrive...

Le 27 février, l'Astrolabe est parti avec à son bord une quarantaine
de "campagnards d'été" : des mécaniciens, des plombiers, du personnel
de l'IPEV, de la technique et de la logistique, et quelques
scientifiques, nous laissant "seuls" pour les 8 prochains mois, les
24 hivernants de la TA58 (58ème mission en _T_erre _A_délie).

C'est maintenant l'hiver. On a vu la banquise se former, se casser
pour cause de trop de vent, et se reformer. On a vu les manchots
empereurs arriver sur cette fine banquise, alors que l'on reste sur
notre île des Pétrels en attendant qu'elle s'épaississe suffisamment
pour qu'on puisse y marcher. On a vu les manchots Adélie partir, les
skuas, les pétrels des neiges, les damiers du cap, les océanites de
Wilson se sont envolés vers le large. On a vu l'île se faire
recouvrir de neige petit à petit, suffisamment de neige pour qu'on
puisse se jeter dans les congères sans trop risquer de se taper les
genoux contre les rochers ou la glace en dessous...
Les petits manchots teigneux ont donc laissé la place aux impériaux
manchots. S'ils se ressemblent par le nom et d'un point de vue
morphologique (et encore, les uns font 5 kilos quand les autres en
font 40), on ne peut vraiment pas les confondre! Les uns sont des
petits nerveux surexcités, obnubilés par les cailloux (leur passe-
temps favori c'est de voler les cailloux du voisin), les autres sont
lents, quasi imperturbables, curieux, tranquilles...
La nuit est de plus en plus longue, ces jours-ci le soleil se lève
vers 8h et se couche vers 17h30. En attendant de pouvoir aller sur la
banquise (pas seulement pour les balades, mais aussi pour y
travailler!), on se balade sur notre petite île, chaque balade est
différente, on va maintenant à des endroits qui n'étaient pas
accessibles pendant l'été du fait de la présence de manchots Adélie &
pétrels. Depuis que l'île est recouverte de neige, les roulades dans
la neige & autres batailles de boules de neige sont fréquentes...

Salutations impériales ;)
A bientôt

16 avr. 2008

16/04/08


Hiverner en Antarctique en 2008 n'a plus rien à voir avec ce que
c'était il y a une cinquantaine d'années, ou encore à l'époque des
expéditions des Shackelton, Amundsen & autres Scott...
Fini le temps des héros polaires, même si les installations sont un
peu vétustes et pas toujours aux normes, on est confortablement
installés!
Sur la banquise, avec nos tenues oranges quasi identiques à celles
des premiers hivernants en Terre Adélie, on pourrait pourtant croire
que nous le sommes, des héros polaires. Des zéros polaires, vous avez
dit?
En attendant la banquise, voilà une photo prise cet été sur l'île du
Mauguen, lors d'une manip phoques (pour équiper des phoques de
Weddell avec une balise Argos), avec nos fameuses tenues oranges...

2 avr. 2008

02/04/08


02/04/08




Depuis presque un mois maintenant, le 7 mars plus exactement, les
empereurs arrivent. Ce ne sont pas les premiers manchots que l'on
voit (les derniers manchots Adélie ont été vu hier 1er avril sur
l'île, ce n'est pas une blague), ni même les premiers empereurs (on a
pu côtoyer adultes & poussins pendant quelques semaines au début de
la campagne d'été), et pourtant...
Le vent souffle, il ne fait pas bien chaud, et nous voilà assis entre
deux rochers, un peu à l'abri du vent, à les voir arriver. Moment
magique! Les voilà donc, par colonnes, impériaux, imperturbables,
déterminés et aussi un peu lents, rejoignant ce morceau de banquise
que l'on renommera manchotière pour l'occasion. Certains sont
énormes, on dirait des ballons gonflés à bloc, à la limite
d'exploser. Il faut dire que les mâles qui arrivent maintenant ne
mangeront pas pendant les 100 à 120 prochains jours, ils ont besoin
de réserves...
Avec le vent qui souffle fort depuis une semaine maintenant, la
banquise qui s'était formée vers le Nord de l'île des pétrels a
disparu. Les empereurs sont eux au Sud, entre les îles Rostand,
Mauguen et le Nunatak du bon docteur. Les banquettes (la zone
intermédiaire entre la banquise et le caillou) ne sont pas assez
solides pour nous porter, il va nous falloir attendre encore quelques
semaines avant de pouvoir quitter notre île... patience...